Beaucoup de fonctionnaires relevés de leur poste disent avoir entrepris des démarches administratives multiples pour signaler leur disponibilité sans succès. Le ministre de la Fonction publique doit en faire une priorité.
Dans notre édition de lundi 17 novembre 2025, nous avions consacré un article au phénomène préoccupant des fonctionnaires « fantômes » : des cadres de l’administration publique, secrétaires généraux, conseillers techniques, directeurs d’administration, officiers supérieurs et autres relevés sans être affectés. Conséquences : certains seraient restés chez eux pendant des mois, voire des années, malgré leur statut de fonctionnaires toujours rémunérés.
Ce système, qui perdure dans plusieurs administrations, représente un manque à gagner considérable pour l’Etat du Mali, mais soulève également des interrogations quant au fonctionnement interne des services publics.
A la suite de cette publication, de nombreux agents concernés ont contacté notre rédaction pour faire une mise au point. La plupart affirment que la situation est plus complexe qu’elle n’a été décrite, et qu’il serait injuste de les qualifier de fonctionnaires « fantômes » dans le sens de personnes volontairement absentes ou refusant de travailler. « Un agent de l’Etat ne peut pas refuser une affectation, sauf si elle est arbitraire », insiste un ancien conseiller technique. Selon lui, tout fonctionnaire placé dans la hiérarchie publique reste sous l’autorité de l’Etat et est tenu d’accepter toute nouvelle mission, dès lors qu’elle respecte les règles statutaires.
Le mythe du manque de postes pour les anciens cadres
Nos interlocuteurs dénoncent ce qu’ils considèrent comme un argument fallacieux : celui selon lequel l’administration n’aurait « pas d’endroit où recaser » les anciens secrétaires généraux, directeurs ou conseillers techniques, officiers de l’armée etc. « Dire que l’Etat ne sait pas où réaffecter ses cadres est un faux prétexte », souligne un autre cadre, lui aussi en situation d’inactivité forcée. Il existe de nombreuses structures stratégiques où leurs compétences pourraient être mobilisées : la Présidence, la Primature, le Secrétariat général du Gouvernement, les Inspections nationales, les Conseils d’administration, les Agences rattachées ou même les projets et programmes financés sur fonds publics. Le problème n’est pas le manque de postes, mais l’absence de décision ».
Ces témoignages mettent en évidence une frustration généralisée chez plusieurs hauts responsables publics, qui affirment avoir servi l’Etat avec loyauté et professionnalisme mais se retrouvent mis à l’écart sans explication claire.
Des démarches restées sans réponse
Beaucoup disent avoir entrepris des démarches administratives multiples pour signaler leur disponibilité. Certains évoquent des dizaines de correspondances adressées aux ministères, aux secrétaires généraux, aux directions des ressources humaines ou encore à la Fonction publique. « Cela fait plus de trois ans que j’ai été relevé de mon poste, confie un cadre qui occupait de hautes responsabilités. Depuis, j’ai écrit à toutes les autorités compétentes pour demander une affectation. On ne peut pas dire que je refuse de travailler : je n’attends que cela. Mais mes courriers restent sans suite. Je ne suis pas le seul. Nous sommes des dizaines dans ce cas ».
Et de poursuivre : « Nous ne demandons pas de privilèges, seulement de servir. C’est ce pour quoi nous avons été formés et nommés. Mais depuis des années, nous sommes à la maison sans explication. Si ce n’était pas au Mali, on ne verrait pas cela ».
Une situation révélatrice de dysfonctionnements plus profonds
Ce phénomène, largement minimisé dans le débat public, interroge la gestion des ressources humaines de l’Etat. L’absence de suivi, le manque de communication interne, l’opacité dans la gestion des carrières et l’instabilité politique semblent entraîner des situations incohérentes : des cadres disponibles mais non utilisés, des postes vacants mais non pourvus, des compétences perdues faute de réaffectation.
Il faut dire que beaucoup y voient même un risque plus grave : celui de décourager les fonctionnaires les plus expérimentés et d’affaiblir durablement l’administration publique.
Il ressort des témoignages que la question des fonctionnaires dits « fantômes » ne se limite pas à un simple problème d’indiscipline ou d’absentéisme. Elle semble être le résultat d’un désordre administratif qui n’épargne ni les fonctionnaires, ni leurs supérieurs hiérarchiques.
Plusieurs observateurs soulignent d’ailleurs la nécessité urgente de réformer les mécanismes de nomination et de réaffectation, afin de garantir une gestion transparente, équitable et conforme aux règles de la fonction publique.
« Ce que nous demandons, conclut un autre cadre contacté, ce n’est pas un traitement de faveur. C’est simplement d’être utilisé à la hauteur de nos compétences. L’Etat a investi dans notre formation et notre carrière. Nous voulons servir. Rien de plus ».
Le ministre de la Fonction publique est plus que jamais interpellé sur cette situation qui fragilise l’administration publique.
Mamadou Sidibé
Source: Arc en Ciel
