Criblé de dettes, Akpos (Ayo Makun) joue de la malchance quand il accepte un job de serveur lors d’un événement politique et se retrouve au cœur d’une prise d’otages… dont il sera finalement le héros.
« Quand un événement politique tourne à la prise d’otages, un serveur doit faire preuve de débrouillardise pour survivre dans cette comédie d’action » ! C’est le synopsis de mon dernier coup de cœur sur « Netflix » : « Le Seveur » ! Un film nigérian (Nollywood avec Ayo Makun, Deyemi Okanlawon, Regina Daniels…), un véritable reflet de notre société mettant en relief des programmes et des projets qui sont montés et financés contre la pauvreté, le chômage ; pour l’émancipation et l’autonomisation féminines… Ils aboutissent rarement au succès escompté parce que la grande partie des fonds prend d’autres destinations. Les victimes cèdent le plus souvent au fatalisme parce que ne pouvant compter sur personne ni sur aucune institution pour exiger réparation, pour obtenir justice.
Dans « Le Serveur », des victimes de différents secteurs constituent un Commando pour prendre en otage les officiels réunis dans un hôtel pour le lancement d’un nouveau programme contre… le chômage ! Ironie du sort, ceux qui s’illustrent sous la lumière pour leur engagement contre ces fléaux sociaux sont ceux-là qui en tirent tout le profit, aggravant la situation des damnés de la terre.
Ces victimes réussissent à infiltrer la coordination du projet pour jouir des fonds en question, les empêchant ainsi d’atterrir sur des comptes privés avec le partage. Et ces « rebelles » ne manquent pas d’arguments pour confondre et condamner leurs « otages » du jour. « C’est de votre faute ; la faute de ce système animé par des meurtriers qui assassinent des innocents par la privation, avec les impôts ou en empochant ce qui leur revient… Vous les assassinez au nom de la lutte contre la pauvreté ? Quelle blague » ! Ils leur reprochent aussi d’avoir imposé au Nigérian lambda comme devise : « Deviens riche, ou pars » ! C’est pourquoi ils ont décidé de prendre en main leur destin et celui des millions de victimes de cette mafia généralement organisée dans l’administration et au sommet de l’Etat pour vider les programmes et projets de leur quintessence. Les victimes de différents abus et détournements ont donc décidé de mettre le pied dans le plat.
Mais, faut-il punir le système en se servant aussi ? Criminel pour le système et héros pour ses victimes, dont beaucoup ont reçu 1 million de nairas sur leurs comptes mobiles Money à partir du fonds qui allait être une fois de plus atterrir sur les comptes des décideurs au nom de la lutte contre le chômage et la pauvreté, ces révolutionnaires 2.0 ont fait preuve d’une grande détermination pour faire découvrir le pot-aux-roses, grâce notamment à une utilisation judicieuse des nouvelles technologies.
Malheureusement, tous ceux qui se disent défenseurs des pauvres ne sont pas toujours animés d’une grande sincérité. Ainsi, jugeant peu les 100 000 dollars votés comme dommages et intérêts pour chaque membre du commando, le chef et sa copine se débrouillent pour virer 100 millions de dollars sur leur compte offshore. Et ils n’ont pas hésité à éliminer leur camarade qui avait découvert cette entorse à l’esprit de leur révolution et qui exigeait la restitution de la somme détournée. « L’argent était pour le peuple. On ne garde rien pour nous, à part notre paiement de 100 000 dollars chacun. Tu sais combien de personnes 100 millions de dollars peuvent-ils aider ? », leur avait-il demandé en refusant de se laisser soudoyer pour fermer les yeux sur « cette entorse ».
Véritable reflet de société, ce film met en évidence l’un des drames qui font par exemple que l’Afrique ne cesse de s’effondrer sur le plan socioéconomique : l’argent destiné à combattre les fléaux atterrit sur des comptes offshore ! La presse congolaise (R.D.C), il y a quelques années, a évoqué le cas d’une quarantaine d’agents et fonctionnaires de l’État du territoire de Kazumba (Kasaï occidental) qui déploraient le détournement régulier de leurs salaires. Ces pauvres victimes croupissaient dans la misère avec des enfants ne pouvant plus aller à l’école parce qu’ils ne pouvaient pas payer les frais de scolarité, touchant moins que ce qu’ils devraient avoir normalement. Ils ont été ainsi privés des moyens d’éduquer, de nourrir, de vêtir leurs enfants comme il le faut. « Ils ne parviennent pas à payer leurs loyers. Bref, ils ne savaient pas répondre efficacement de leurs devoirs. Cette situation facilite la prostitution, le vol, et autres comportements indésirables », avaient déploré les confrères. Des exemples pareils, surtout au niveau de la réalisation des œuvres sociales d’utilité publique, sont légion en Afrique. Au finish, ce sont généralement des infrastructures obsolètes qui sont livrées aux communautés et qui, à peine inaugurées avec faste, commencent à se dégrader.
Comme nous le rappelait récemment un socioéconomiste, « la victime des détournements se voit privée de son dû, de son droit. Cela constitue un manque à gagner, un appauvrissement de son patrimoine et l’enrichissement sans cause de celui du détourneur. Parlant particulièrement des rémunérations, les détournements se font généralement sur l’argent des agents de la basse classe, ceux qui au départ sont mal payés ».
À qui la faute ? La question a son pesant d’or, d’autant plus que ceux qui sont à la base du malheur collectif sont aussi le plus souvent célébrés par les mêmes communautés, les mêmes jeunes chômeurs/désœuvrés comme des Messies, des références de réussite derrière qui, ils ne cessent de courir et qui les traitent en vrais « parasites » ! Au lieu de leur apprendre à pêcher et à leur offrir une canne ou un filet, ils préfèrent leur donner du poisson pour mieux les tenir en laisse. Bien sûr, au sens figuré, c’est-à-dire contraindre quelqu’un, le gouverner, l’empêcher d’agir librement ou lui faire faire tout ce que l’on veut, un peu comme si l’on tenait un chien pour qu’il reste près de soi. Quelque part, nous sommes donc responsables de nos propres malheurs. Et cela d’autant plus qu’au lieu de nous battre comme le « Commando » dans « Le Serveur » pour revendiquer et jouir de nos droits, nous préférons vivre les mains tendues à nos bourreaux !
« Libérez-vous de l’esclavage mental, personne d’autre que nous ne peut libérer nos esprits », chantait Bob Marley dans « Redemption Song » (1980), inspirée d’un discours de Marcus Garvey. Elle symbolise la lutte pour la liberté, l’indépendance et l’émancipation spirituelle. Quant au regretté Capitaine Thomas Sankara, il nous rappelait que « l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte, ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort ». Un intellectuel de commenter en rappelant que « cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendante suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir ». Comme l’a compris le Commando de « Le serveur », seule la lutte libère des mauvaises pratiques qui ont tendance à devenir la règle dans nos États, condamnant le citoyen lambda au chômage, à la misère, à la précarité !
Moussa Bolly
Source : Le Matin
